De grands espoirs, une empreinte importante : la quête de l’aéronautique pour un ciel neutre sur le plan climatique

03/12/2025

L'aéronautique reste un pilier de notre économie mondialisée, réduisant les distances et accélérant la circulation des personnes et des marchandises, favorisant ainsi le tourisme et le commerce. Mais c'est aussi l'un des secteurs les plus difficiles à aligner sur les objectifs mondiaux de neutralité climatique d'ici 2050. En 2023, l’aéronautique a produit environ 1 gigatonne de CO₂, soit environ 2,5 % de toutes les émissions de CO₂ d'origine humaine, y compris celles liées au changement d'affectation des terres. Si l'on tient compte des impacts autres que le CO₂, tels que les traînées de condensation et les oxydes d'azote, la part du secteur dans le réchauffement climatique passe à environ 6 %, ce qui souligne l'ampleur du défi.

La réduction des émissions nécessite un ensemble complet de mesures couvrant la technologie, les carburants, les opérations et les politiques. L'un des piliers essentiels est le déploiement de carburants d'aviation durables (SAF), qui peuvent réduire les émissions de CO₂ de 60 à 90 % et sont compatibles avec les flottes existantes. Cependant, leur déploiement actuel est bien en deçà des objectifs climatiques : les SAF ne représentaient que 0,3 % de la demande mondiale de carburant pour avions en 2024, en raison de la rareté des matières premières durables, des coûts de production élevés et de la lenteur du développement des infrastructures. Le développement des SAF nécessitera des investissements importants dans l'électricité renouvelable, la diversification des matières premières et les installations de production à grande échelle, soutenus par des mandats politiques clairs et stables. Cependant, les preuves scientifiques montrent également que les SAF ne peuvent à eux seuls garantir une neutralité climatique totale, car les effets non liés au CO₂ (traînées de condensation, NOₓ et vapeur d'eau) continuent de contribuer au réchauffement. Les SAF restent essentiels, mais doivent être complétés par des mesures technologiques, opérationnelles et réglementaires plus larges. Les améliorations en matière d'efficacité, telles que le retrait des anciens avions, l'adoption de modèles plus aérodynamiques et plus économes en carburant, la réduction du poids de la cabine et l'introduction du roulage électrique, permettent de réduire encore davantage la consommation de carburant. Parallèlement, les nouvelles technologies de propulsion – avions à hydrogène, à batterie électrique et hybrides électriques – offrent un potentiel de transformation à long terme, même si elles nécessitent des avancées majeures en matière d'infrastructures et de systèmes énergétiques.

Les mécanismes basés sur le marché (crédits carbone) peuvent également contribuer à combler le déficit carbone. D'une part, le Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation (CORSIA) permet aux compagnies aériennes de compenser une part croissante des émissions internationales, avec des coûts passant de niveaux négligeables pendant la phase pilote (7 à 20 dollars/tonne de CO₂) à potentiellement 100 dollars/tonne d'ici 2027, ce qui représente une charge financière pouvant atteindre 9,5 milliards de dollars US (26 % des bénéfices nets du secteur) à mesure que la participation s'élargit et que les obligations se renforcent. D'autre part, le Système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE) impose des obligations plus strictes, axées sur l'Europe, qui obligent les compagnies aériennes à acheter des quotas, avec des besoins prévus de 70 millions de quotas d'ici 2030 à 80-150 euros/tonne, ce qui se traduit par des coûts de 5,6 à 10 milliards d'euros. Si les crédits carbone restent moins coûteux que l'adoption des carburants durables, leur coût cumulé devrait augmenter, ce qui aura une incidence sur les marges d'exploitation ou le prix des billets. Dans l'ensemble, ces mécanismes basés sur le marché constituent des outils de transition qui permettent aux compagnies aériennes de compenser les émissions inévitables tout en encourageant les investissements à long terme dans les carburants alternatifs durables et les technologies à faibles émissions, favorisant ainsi la conformité et la croissance durable du secteur.

Ces efforts nécessiteront environ 5 100 milliards de dollars d'investissements d'ici 2050. Cette somme sera principalement consacrée à l'électricité renouvelable (40 %) pour alimenter les carburants synthétiques et les futurs avions à hydrogène ou électriques. 38 % supplémentaires devront soutenir l'augmentation de la production de carburants alternatifs durables, tandis que le captage du CO₂ et les électrolyseurs représenteront 16 % et les avions de nouvelle génération les 6 % restants. Malgré son ampleur, la transition est économiquement favorable. Sans mesures d'atténuation, le secteur serait confronté à près de 8 000 milliards de dollars de coûts carbone cumulés dans un contexte de hausse des prix du carbone. Une trajectoire de transition ramène ce chiffre à 2 600 milliards de dollars, éliminant l'exposition au prix du carbone après 2045 et renforçant la compétitivité à long terme et la résilience réglementaire.

La décarbonation de l’aéronautique dépend également de l'accélération de la modernisation des avions et de l'innovation de nouvelle génération. Avec un taux de retrait de la flotte mondiale de seulement 1,7 % en 2024 et un taux de renouvellement de 3,7 %, l'âge moyen des avions a atteint un niveau record de 15 ans, tandis que les retards de livraison ont atteint 17 000 unités, prolongeant les délais d'attente de deux à trois ans à près de six ans. La modernisation des anciens avions – grâce à la rénovation des cabines, à l'avionique, aux moteurs et à des améliorations aérodynamiques telles que les winglets (qui ont permis de réduire les émissions de CO₂ de plus de 100 millions de tonnes depuis 2000) – offre des gains d'efficacité à court terme, mais une décarbonation significative nécessite de nouveaux avions. Les technologies actuelles pourraient réduire la consommation de carburant et les émissions d'environ 20 % d'ici 2050, mais seulement si les constructeurs accélèrent la production, diversifient leurs fournisseurs, rationalisent les certifications et obtiennent le soutien des pouvoirs publics. Les principaux équipementiers investissent massivement dans la R&D pour développer des plateformes compatibles avec les carburants alternatifs durables (SAF), des propulsions hybrides-électriques et à hydrogène, ainsi que des technologies aérodynamiques avancées. Pourtant, le ratio CAPEX/chiffre d'affaires reste faible, entre 3 et 5 %, malgré une augmentation de +8 % au cours de la dernière décennie et de +67 % depuis les creux de la pandémie. Pour parvenir à un changement radical en matière d'efficacité et s'aligner sur les objectifs de zéro émission nette, des investissements nettement plus importants sont essentiels afin de mettre en service des avions de nouvelle génération, économes en énergie, à l'échelle et au rythme requis par l'industrie et la planète.

Les mesures du côté de la demande sont également importantes. Le trafic aérien est passé de 0,4 milliard de passagers en 1970 à près de 5 milliards en 2025, et la demande mondiale devrait atteindre 12,4 milliards d'ici 2050. L'Europe connaîtra une croissance plus modérée, passant de 1,19 milliard de passagers en 2023 à 1,81 milliard en 2050, mais même cette augmentation de +52 % remet en question les objectifs net-zéro. Plus de 50 % des passagers de l'UE voyagent à l'intérieur de leur pays ou au sein de l'UE-27, et les vols courts offrent les possibilités d'atténuation les plus évidentes : les trajets de moins de 300 km représentent 19 % des déplacements nationaux, tandis que ceux de moins de 500 km en représentent 45 %. Le rail est bien placé pour remplacer ces distances, mais nécessite des améliorations majeures. L'Europe prévoit d'étendre le réseau ferroviaire à grande et très grande vitesse de 12 000 km aujourd'hui à près de 49 400 km d'ici 2050, ce qui nécessitera plus de 890 milliards d'euros d'investissements d'ici 2050. Des mesures complémentaires, telles que les taxes sur les billets d'avion qui réduisent la demande intra-EEE d'environ 9 %, peuvent accélérer davantage un transfert modal équitable et efficace.